Une noisette, un livre, une interview
"Mariage en douce"
Par Ariane Chemin
Jean Seberg et Romain Gary. Romain Gary et Jean Seberg. Deux icônes, deux destins interchangeables aux rythmes d’une musique d’écorchés vifs, une combinaison de mélodies entre écriture et images, comme une polyphonie corse, qui se terminera en tragédie.
Au milieu, une date : 16 octobre 1963. Un événement qui aurait dû faire la une des magazines et qui restera pendant des décennies un "secret défense". Et pourtant, Jean Seberg et Romain Gary se sont mariés ce jour là, à Sarrola, un petit village corse dans la discrétion la plus absolue.
Personne jusqu’à aujourd’hui n’avait pu remonter le fil du temps et découvrir les dessous de cette noce silencieuse. Ariane Chemin, grand reporter au journal Le Monde, a pu retrouver, l’un après l’autre les morceaux d’un puzzle pas comme les autres en partant... d’un tango.
Même si l’on n’a pas connu cette époque "Nouvelle Vague" où les Sixties déroulaient un océan de renouveau, on plonge dans cette histoire incroyable comme si on l’avait presque vécue, tant le récit vous donne du souffle dans votre esprit, jamais à bout. Et comme l’auteure, on cherche à comprendre pourquoi un mutisme aussi long.
Chaque description est brève mais essentielle. Chaque passage a une senteur particulière. Mais toutes les phrases contiennent des fragrances florales corses pour embaumer un amour passion plongé dans une France gaulliste.
Seberg et Gary. Mais quel couple ! Une grâce androgyne qui virevolta dans un ballet diplomatico-littéraire. Avec
l’écriture recherchée d’Ariane Chemin, pas une surprise que ce récit se lise comme un roman que je vous invite à parcourir dès la première aube pour une
promesse de découvertes.
1 – Ariane Chemin, quel est le premier personnage qui vous a fasciné ? Jean,
Romain, ou les deux en symbiose ?
Jean Seberg, d’abord, cette grande
amoureuse…. Sa fragilité, sa beauté moderne, bien sûr, ses
fêlures et son intelligence. J’ai lu, regardé ou écouté toutes
les interviews qu’elle a données : peu d’actrices parlent
aussi bien de leurs films. On est très loin des formules toutes
faites et des clichés "langue de bois" d’aujourd’hui,
hormis évidemment quelques artistes comme Jodie Foster ou Jeanne
Balibar…
Lui, je l’ai aimé après, chemin
faisant. J’en avais l’image qui a été enseignée à ma
génération, celle du structuralisme littéraire ( que je vénère
pourtant), la génération qui a bachoté avec le Nouveau roman.
Gary, il y avait une intrigue, des personnages, c’était has been,
nous disait-on. Et puis, pour le Café de Flore, c’était "l’écrivain du régime", le gaulliste : ni mao, ni
trotskiste. J’aime que, politiquement, ce résistant qui a défendu
la cause noire américaine se soit si peu trompé durant un
demi-siècle. J’aime aussi le féminisme de cet aventurier.
2 – On trouve une belle définition pour ce binôme amoureux "deux
infirmes de la vie". Ils ne pouvaient que se rencontrer ?
On a toujours su que Jean Seberg était
une personne fragile. On a moins vu cette fragilité chez Gary. "Je
me suis bien amusé", a-t-il écrit (avant de se suicider ) en
évoquant sa fabuleuse supercherie littéraire, son double Emile
Ajar. Je pense que c’est tout le contraire – un ultime mensonge.
Gary était un pessimiste fondamental, un dépressif qui ne trouvait
plus d’autre aventure à vivre dans sa fin de siècle que l’amour.
Mais quand celui-ci s’effiloche…
3 – Des ressemblances jusqu’à une blessure physique commune ?
Jean Seberg a été brûlée lors du
tournage de Jeanne d’Arc. Elle n’avait pas vingt ans. Le faux
bûcher s’est enflammé, et Otto Preminger a continué à tourner.
Ce réalisateur brillant mais sadique lui a fait beaucoup de mal. La
sœur de Jean Seberg explique dans un très joli documentaire réalisé
par Anne Andreu que trois hommes ont cassé la vie de sa sœur :
Preminger, Edward Hoover, le patron du FBI, et son dernier amant, un
jeune homme cupide et violent, avec lequel elle s’était mariée et
qu’elle appelait "Bouteflika". Gary était blessé
comme elle par une balle qui avait traversé la carlingue de son
avion, en 1943, pendant la guerre… Deux blessures au ventre et au
fer rouge.
4 – Mais des paradoxes aussi ?
Oui, beaucoup de paradoxes. Il est
européen, elle est américaine. Il est comme veuf de sa mère, elle
fuit ses parents – même si elle tombe amoureuse, plus tard, du
héros de son père, l’acteur Clint Eastwood. Un demi-siècle les
séparent, et cinquante dans une époque où l’Histoire va si vite,
ce n’est pas rien. Jean Seberg était une immense sentimentale,
qui croit à chaque fois au grand amour, mais qui toute sa vie a été
assez mal aimée. Ce n’est pas le cas de Gary, qui a été adoré
par sa mère, par les femmes. A-t-il aimé Seberg comme un père ?
Je ne saurais dire. Je pense en revanche qu’il n’est pas
l’homme à femmes qu’il a fait semblant d’être.
5 – Domy Colonna-Cesari, après avoir été inconnu va devenir célèbre à 94
ans. Est-ce l’âge qui l’a décidé à enfin tout révéler ou bien l’éloignement des
faits, votre rigueur journalistique ou encore quelques notes de tango ?
Ce n’est pas son âge, c’est plutôt
le fait que tous les protagonistes du mariage soient morts,
désormais. Et puis quand je suis arrivée pour le trouver je savais
déjà pas mal de choses, sur la Sécurité militaire – les
services secrets de l’époque - où il travaillait, sur son
responsable le général Feuvrier… J’ai passé beaucoup de temps
avec M. Colonna-Cesari, davantage évidemment que ne le dit le
livre, qui est un récit "vrai" mais pas un reportage.
J’aime ces personnages taiseux, qui ne se vantent jamais, notamment
de leurs faits de résistance. Il est parti pour rejoindre l’Afrique
du Nord à 17 ans, et sur la route a passé plusieurs mois en prison
en Espagne ! C’est un homme pudique qui ne s’apitoie pas sur
lui-même et ne se pose pas la question du temps qui passe. Au
dancing, il m’a dit : "quand je danse, je suis
heureux".
6 – Plus de 50 ans de silence absolu ! Serait-ce possible
aujourd’hui où tout se filme, s’enregistre ?
C’est la magie de cette histoire.
Aujourd’hui, les smartphones rendraient ça impossible. Dans
l’avion du retour – une caravelle de ligne, alors qu’ils
étaient arrivées par avion militaire- , une hôtesse a dit à Jean
Seberg : "Vous savez que vous ressemblez à l’actrice
d’A bout de souffle ?" Sa voisine et témoin de
mariage, Françoise Feuvrier, a répondu, pour la "couvrir"
et ne pas la laisser dévoiler son accent : "tiens, c’est
vrai, je ne m’étais jamais fait la réflexion… "
Aujourd’hui, cette hôtesse aurait réclamé un selfie, un passager
aurait pris une photo à la dérobée… Culture totalitaire de la
transparence totale. L’approche biographique n’a rien à voir
avec ça.
7 – N’y a-t-il pas une antinomie dans cette France des
"Sixties" ? Tout bouge, tout progresse mais l’esprit pudibond
demeure ?
Le mariage de Gary et Seberg se
déroule en 1963. Cinq ans avant mai 1968. La morale de l’époque
est extrêmement rigoureuse. J’ai dû faire un gros effort pour
comprendre ce qui avait justifié le secret qui a entouré ces noces.
La morale gaulliste, qui interdisait à un diplomate d’être
divorcé, la morale d’Hollywood, qui avait imposé un contrat
drastique à Jean Seberg ( pas le droit d’être enceinte, etc). La
morale luthérienne de Jean Seberg, aussi, petite protestante de de
l’Iowa, qu’elle a balayée au fond plus facilement que Gary.
J’aime qu’ils aient bravé tous deux le "qu’en
dira-t-on" bourgeois.
8 - "Gary excelle dans l’art de transformer les vies en
roman" et il est connu pour être un mystificateur littéraire. Une
des raisons pour tomber amoureux d’une actrice et franchir les portes des
studios ?
Il veut faire de sa vie un roman. Il
joue les m’as-tu-vus et s’habille comme un personnage de roman.
Il se marie comme dans un roman. Mais il a deviné, avec Roland
Barthes et Edgar Morin, que les nouvelles gloires des sixties ne
sont plus les écrivains. Le cinéma fabrique les nouvelles vedettes.
9 – Les débuts cinématographiques ont été laborieux pour Jean Seberg,
tourner "Bonjour tristesse" était prémonitoire ?
J’adore ce film, même s’il a un
peu vieilli. Aucun autre cinéaste n’a aussi bien suggéré
l’érotisme d’une coupe de cheveux que Preminger dans cette
adaptation du roman de Sagan. J’ai tenté de construire mon livre (
qui démarre par un tango) en copiant le film, qui s’ouvre sur un
slow - les doigts fins de Jean Seberg sur une épaule d’homme,
avant le flash back… en couleur, et non en noir et blanc, comme les
premières images du film (un procédé qui a marqué une révolution
dans l’histoire du cinéma, et a été copié par Lellouch dans Un
homme et une femme). Le bonheur passé en technicolor, le
présent en noir et blanc.
10 – A côté du couple, il y a
leurs autres unions dont François Moreuil pour Jean et Lesley Blanch pour
Romain. Vous dressez un sacré portrait de l’écrivaine et éditrice, tant, que
l’on a envie de se replonger dans son univers. Elle vous éblouie aussi ?
J’ai découvert les livres de Lesley
Blanch, que, j’avoue, je ne connaissais pas et n’avais pas lue. Il
y a un souffle d’aventurière chez cette journaliste anglaise, si
excentrique, qui aimait tant Gary, son mari, qu’elle expliquait
qu’elle préférait se retrouver veuve que divorcée de lui. Elle a
beaucoup fait pour Gary l’écrivain. Je crois que les Editions de
la Table ronde ont entamé la traduction en français de "The wilder
shores of Love", son livre autobiographique paru en 1954, c’est une
bonne idée.
11 – "Mariage en douce", une histoire vraie aux allures de
fiction. Après l’enquête et l’écriture, l’adaptation à l’écran de votre récit
sur ce couple mythique et subjuguant, vous tenterait ou pas du tout ?
La Corse, île
tragique, a toujours été un beau décor de cinéma. On verra…
Mariage en douce, Gary & Seberg – Ariane Chemin – Editions Equateurs
– Mai 2016
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