samedi 28 novembre 2015

Une noisette, une interview



Erwan L’Eléouet

 

"Les chansons de Renaud constituent une forme de bande originale de notre vie"






Erwan L’Eléouet, rédacteur en chef de l’émission de France2 "Un jour / un destin" retrace les parcours de nombreuses personnalités. En septembre 2012, avec ses collègues Fabien Boucheseise et Simon Thisse, il proposait d’ouvrir une page sur le destin du chanteur Renaud avec "Les raisons de la colère". Aujourd’hui, ce sont plusieurs chapitres qui s’ouvrent avec un touchant ouvrage "Renaud, Paradis perdu"(éd. Fayard).


1 – Pourquoi avoir choisi Renaud pour votre premier livre ? Pour le chanteur, le personnage, ce qu’il représente ? 
En 2012, lorsque nous avons réalisé ce portrait de Renaud pour la collection "Un jour / un destin", j’avais mené quelques entretiens, notamment ceux de Thierry Séchan, le frère aîné du chanteur, et de Michel Pons, l’accordéoniste de ses débuts. C’est à cette occasion que j’ai découvert son incroyable parcours. Et c’est vrai que j’ai une empathie pour le personnage, ses colères et sa tendresse, mais aussi ses chansons qui ont traversé les époques et qui constituent une forme de bande originale de notre vie. 

2 – Quelles sont les personnes que vous avez rencontrées ? 
Pour ce livre, j’ai rencontré une vingtaine de personnes qui l’ont vraiment côtoyé ou qui le côtoient encore, en tous cas qui le connaissent bien. Ce qui était important, c’était de solliciter des témoins qui n’avaient jamais parlé. J’ai réussi à convaincre Dominique, sa première épouse, sa "gonzesse" de la chanson, sa "Domino", une femme formidable qui continue de veiller sur lui. Il y a un lien indestructible entre eux, c’est la mère de Lolita. C’est elle qui l’a poussé à écrire. Elle l’a encouragé, porté. Et j’ai également beaucoup interrogé David, son frère jumeau, un garçon très discret. Il est éditeur musical. Il est, lui aussi, un soutien pour Renaud. Enfin, j’ai retrouvé tous les copains et marins qui ont navigué avec lui quand il a décidé un jour d’emmener sa famille faire le tour du monde en bateau. 

3  – Doté d’une hypersensibilité, Renaud a de terribles blessures. Peut-on parler d’écorché vif ? N’a-t-il pas été (trop) souvent incompris, entraînant de nombreuses souffrances psychiques ? 
Vous avez raison. Le terme d’écorché vif est complètement approprié. Il a une hypersensibilité très développée. Dominique explique qu’il n’y a pas de filtre qui le protège. Il absorbe toute la dureté de la réalité du monde. Alors parfois, c’est une matière qui nourrit ses chansons. Ce spleen donne une vérité et une humanité à ses textes. Et puis, à d’autres moments, il doit lutter contre ces démons intérieurs, mettre son esprit en pause. Je ne pense pas qu’il ait été incompris. Il a tissé un lien fort avec le public qui continue de lui témoigner des marques d’affection mais cette popularité a également fait peser sur lui une pression, une énorme responsabilité. En fait, c’est un homme qui, à 63 ans aujourd’hui, a perdu ses illusions mais pas ses idéaux. 

4 – Sauf erreur de ma part, il déclare être "autodestructeur parfois, jamais suicidaire". Une auto-description révélatrice de sa personnalité ?
Dans une grande interview, il avait déclaré qu’il avait du mal avec la vie. Il y a chez lui une angoisse certaine de la mort. Dominique Séchan, sa première épouse, m’a expliqué que c’était un mécanisme compliqué. Il fait tout, à la fois pour l’approcher et la repousser. Il y a chez lui une alternance de cycles, des moments de bonheur intense et des séquences de dépression.

5 – Coluche, Desproges, Balavoine... Des amis disparus avec qui il partageait l’esprit de révolte. A-t-il pu retrouver des personnes aussi sincères et prêtes à épouser ses divers combats ? 
C’est vrai que ces trois personnalités avaient la même révolte que lui. Elles n’avaient pas peur de dénoncer l’immobilisme, d’interpeller l’opinion et les politiques. C’était une autre époque avec des artistes qui pouvaient tenir un discours plus politique, moins consensuel. Renaud a trouvé ça, cet esprit libertaire hérité de Mai 68, au Café de la Gare et dans la troupe de la Veuve Pichard. Ce qui est difficile pour lui aujourd’hui, c’est de se dire qu’il est l’un des derniers à pouvoir incarner cet esprit de révolte. C’est aussi ce que le public attend de lui. 

6 – Après des mois et des mois de silence, Renaud s’est exprimé avec force après l’attentat de Charlie. En octobre, il a signé une émouvante chanson pour son fils dans l’album de Grand Corps malade. Ce retour tant attendu va enfin arriver ? 
En me lançant dans l’écriture du livre au mois de février, je n’imaginais pas le retour de Renaud. Ses proches non plus d’ailleurs. David m’a dit qu’il n’aurait pas parié un kopeck sur la sortie d’un album. Renaud n’avait pas écrit une ligne depuis l’album "Rouge sang" en 2006. Finalement, les attentats de janvier, la perte de ses amis Cabu et Wolinski, la marche républicaine à laquelle il a participé à Paris dans le cortège officiel, tout cela a relancé le processus d’écriture. Avec l’intervention également de Grand Corps Malade qui lui a proposé d’écrire et de chanter un texte sur un album concept intitulé "Il nous restera ça". La chanson "Ta batterie" est née de cette collaboration.

7  – Comment expliquez-vous qu’il arrive à réunir toutes les générations ? On a tous en nous quelque chose de Renaud ?
La jeune génération a découvert ses textes avec les deux albums de reprises de "La bande à Renaud". Les autres générations ont forcément des souvenirs liés à Renaud. Qui mieux que lui a raconté la lutte des classes ("Hexagone"), la maternité ("En cloque"), l’amour d’un père pour sa fille ("Morgane de toi"), la nostalgie de l’enfance ("Mistral gagnant") ? On peut ne pas aimer sa voix mais chacun est obligé de reconnaître sa poésie, sa créativité dans l’écriture. Il a presque inventé une langue, un univers. 

8 – Justement, dans Paris-Match, vous terminez votre article sur Renaud par une phrase attendrissante «  La langue d’un poète pour apaiser nos maux ». Quels sont les textes de l’auteur-compositeur qui vous ont le plus touchés ? 
J’aime beaucoup les albums des années 1980 ("Morgane de toi" et "Mistral gagnant"). Je suis un fan absolu de la chanson "Mistral gagnant". Trouver l’idée d’égrener les noms des confiseries pour raconter les bonheurs de l’enfance et parler de transmission, c’est très touchant. Ces notes de piano identifiables tout de suite nous plongent dans une atmosphère particulière. Et puis, j’écoute régulièrement les chansons drôles, "Miss Maggie" et "Dès que le vent soufflera" qui relate ses aventures maritimes. Cet humour de Renaud peut tout désamorcer.

9 – Le fait d’être rédacteur pour l’émission "Un jour / un destin", où l’on se concentre énormément sur la psychologie des personnalités, donne-t-il une autre façon de regarder les gens en général ? 
Il y a peut-être une certaine déformation professionnelle. C’est vrai qu’avec près de 90 portraits réalisés, on a eu le temps de sonder l’âme humaine. Il y a maintenant des ressorts psychologiques qui nous paraissent évidents. Il faut avoir cet intérêt, cette curiosité qui ne doit jamais être mal placée. Ce qui est indéniable, c’est qu’il y a chez tous ces artistes des blessures intimes qui ont déclenché des besoins de reconnaissance.

10 – Quelles sont les limites à ne pas franchir lorsqu’on dessine un portrait intime ? Comment mettre un voile pudique pour ne pas tomber dans le voyeurisme ? 

C’est une question de respect de la vie privée, de l’intimité de chacun. On se base toujours sur les témoignages de proches, les écrits et les interviews des personnalités dont on dresse le portrait. C’est difficile à définir, c’est uniquement une question de feeling. Être délicat, c’est la règle première. C’est ce que j’avais constamment en tête en écrivant "Renaud. Paradis perdu".

11 – Enfin, pour mieux vous connaître, le traditionnel questionnaire...

  • Un roman : le dernier roman qui m’a vraiment embarqué a pour titre "Réparer les vivants" de Maylis de Kerangal. C’est puissant, l’écriture vous entraîne. Et malgré la tristesse de la situation, le décès d’un proche et le choix du don d’organe, on trouve de la beauté à chaque page.
  • Un personnage : comme il m’a occupé l’esprit pendant ces huit derniers mois, Renaud, pour ses colères, sa fragilité et la tendresse de ses chansons.
  • Un(e) écrivain(e) : Marcel Proust
  • Une musique : L’Ave Maria de Gounod
  • Un film : "Mon oncle" de Jacques Tati
  • Une peinture : n’importe quel tableau de Nicolas de Staël
  • Une photographie : un montreur d’ours dans un bidonville de la région parisienne au début des années 1970. C’est une photo prise par Claude Dityvon, un photographe, aujourd’hui disparu, qui avait beaucoup de talent.
  • Un animal : une étoile de mer
  • Un dessert : un fondant au chocolat
  • Une devise / une citation : "L’honnêteté est la plus grande de toutes les malices, parce que c’est la seule que les malins ne prévoient pas". Alexandre Dumas fils

Merci Erwan L'Eléouet et je vous laisse le mot de la fin pour les nombreux fans de Renaud : Je voudrais leur dire que j’ai pris beaucoup de plaisir à écrire cette biographie de leur chanteur préféré, j’espère qu’ils en prendront autant en la lisant et en découvrant peut-être des séquences inédites de sa vie. 


"Renaud, Paradis perdu" par Erwan L’Eléouet aux éditions Fayard

 

dimanche 15 novembre 2015


Les ténèbres et la lumière...

 
 
 
 
Un vendredi soir, comme les autres, enrobé par une douceur exceptionnelle pour un mois de novembre. En profiter pour rester à une terrasse, aller à un concert, un match. Se divertir après une semaine de labeur. Parler, rire de tout et de rien. La vie.

Soudain un bruit assourdissant. Des explosions, des tirs. Des corps déchirés, des blessés moribonds...Ce que côtoient des centaines de personnes en Irak, en Afghanistan, en Syrie. Deux jours auparavant c’était à Beyrouth. Ce vendredi, c’est Paris. L’horreur sans nom en quelques secondes. La mort.

Rapidement la sécurité et la solidarité se mettent en place, luttent, car chaque minute compte. Les policiers, les pompiers, les ambulanciers, les médecins, les infirmiers, les secouristes, les anonymes. C’est un rescapé qui essaie de sauver un blessé. C’est un habitant qui propose son appartement comme lieu de refuge. Les réseaux sociaux si souvent critiqués relaient la solidarité. La vie.

Les heures s’écoulent. L’angoisse augmente. Les familles, les amis recherchent un disparu. Défilent des photos de visages, avec des sourires, des personnes qui ne voulaient qu’une chose : vivre. Mais la haine, l’intolérance, la folie ont réduit tout à néant. La mort. Encore. 

Le monde entier est touché. Tous les peuples sont touchés. Toutes les religions sont touchées. Ce pourquoi, une mobilisation planétaire exprime son soutien. Des poèmes, des fleurs, les monuments aux couleurs du drapeau de la France. La Marseillaise résonne dans la rue, ce chant emblème de la lutte pour la liberté, l’égalité, la fraternité. La vie.

Les larmes coulent. De longues heures s’écoulent. On s’interroge, on s’informe. Les images défilent, se multiplient. Les témoignages glacent. La peur rôde. Peut-on croire en l’humanité ? Deux mondes sursautent : celui de l’angoisse qui appelle la mort, celui de l’espoir qui appelle la vie.

Pour se convaincre que l’espérance doit surpasser la violence, se remémorer cette phrase de Nelson Mandela pour qui la résistance pacifique n’a pas été de vains mots :

"J’ai appris que le courage n’est pas l’absence de peur, mais le fait de triompher d’elle. L’homme courageux n’est pas celui qui ne ressent pas la peur, mais celui qui la vainc".

Tous unis, tous ensemble. Pour rester debout. Pour la vie et en mémoire des victimes.
 
 












lundi 2 novembre 2015


Une noisette, un livre


 

"Simone, éternelle rebelle"

par Sarah Briand

 
 
 
 



28 novembre 1974. Assemblée Nationale. Adoption d’une loi qui va changer la vie et la santé des femmes : la légalisation de l’Interruption Volontaire de Grossesse. Dans cet hémicycle composé à une très large majorité d’hommes, une femme va réussir à s’imposer : Simone Veil, mais après un combat sans relâche. 41 ans plus tard, elle reste la personnalité préférée des français.

A cette époque, personne ou presque, ne connaissait la vie de Simone Veil. Pudique, ne voulant pas s’exprimer sur sa vie privée, elle a fait face aux insultes avec une dignité extrême. Mais en 1975, face à un préfet qui s’amuse à la féliciter pour sa technique à manier la truelle, Simone Veil craque et révèle en une phrase son passé.

Matricule 78651. Drancy, Auschwitz-Birkenau, Bobrek, Bergen-Belsen. Elle ne reverra plus son père ni son frère. Sa mère succombera au typhus. Sa sœur Madeleine sera sauvée in extremis. Mais en août 1952, tout s’effondre à nouveau, Milou meurt dans un accident. Simone Veil, c’est une vie de combat, de courage, de grandeur face à la douleur et aux chagrins. Une vie d’engagement aussi, pour les autres.

Heureusement, Simone rencontrera l’amour, un amour indestructible avec Antoine. A eux deux, ils sauront encore être plus forts. De cette union, naîtront trois enfants, tous en admiration devant une mère qui sait mener une carrière politique tout en restant à l’écoute de sa famille, cette famille qu’elle a pu fonder. Et puis, il y a les amies, Marceline et Ginette, les seules qui peuvent réellement la comprendre car elles ont vécu le même enfer.

Mars 2010. Académie Française. Simone Veil s’assoit dans le fauteuil de Racine, l’auteur préféré de son père. Elle est devenue Immortelle. Simone ou la force du destin.

Qui mieux que Sarah Briand pouvait lui rendre un si bel hommage ? La journaliste a déjà réalisé en 2014, un bouleversant documentaire intitulé "L’instinct de vie" (1) dans le cadre de la série "Un Jour Une Histoire" diffusée sur France2. L’écriture de Sarah Briand est à l’image de Simone Veil : pudique, sobre et efficace, sincère.

Au fil des pages, ce qui a particulièrement retenu mon attention c’est la manière dont l’auteure tourne ses phrases, explore le récit d’une vie pas comme les autres. Sarah Briand donne l’impression de s’adresser à chaque lecteur en particulier. C’est assez rare et mérite d’être souligné.


Je ne peux que vous conseiller cette biographie de Simone Veil, "femme de l’ombre, décidée à se distinguer pas sa ténacité" comme la décrit si bien Sarah Briand.


Simone, éternelle rebelle – Sarah Briand – Editions Fayard – Octobre 2015
 
(1) Retrouvez ici l'interview de Sarah Briand réalisée lors de la diffusion

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