Une
noisette, une interview
Michel
Mompontet
"Mieux
vaut parier sur l’intelligence du téléspectateur et non sur sa
bêtise "
Journaliste
réalisateur, Michel Mompontet a parcouru le monde pour les infos de
France 2. Après avoir été chef du service culture, soudainement en
2007, sa voix devient visage dont se détache un regard
direct/perçant/incisif/instructif, il incarne #MonOeil sous la
bénédiction des créateurs du magazine "13H15 le samedi" : Jean-Michel Carpentier et Laurent Delahousse. Cinq ans plus tard,
l’oeil devient borgne mais la verve du journaliste ne faiblit pas
et son public, nombreux, attend encore et toujours, son retour... en
vain !
1
- Selon Christian Morgenstern, "seul un regard peut créer
l’univers", en le paraphrasant est-ce que #MonOeil pouvait créer
un réveil cathodique ?
#MonOeil
était un objet de conception maïeutique afin de faire accoucher les
esprits, le regard critique. En une phrase : croire ou ne pas
croire l’info pour amener le débat, donner un esprit critique
subtil, pas uniquement binaire, pas uniquement, justement, "j’y
crois, j’y crois pas". Parfois, on m’a dit "après
ton émission, le débat était houleux, on s’interpellait, on
discutait entre les pour et les contre", c’est le plus beau
compliment que l’on pouvait me faire. Je donnais naissance à un
esprit nouveau où je laissais un espace de discussion, où le
téléspectateur avait son propre avis.
2
- Votre marque de fabrique, que vous continuez à utiliser sur les
réseaux dits sociaux à, je crois, une origine Bukowskienne,
pouvez-vous nous en dire plus, ou pas ? ;-)
Avec
le musicien André Minvielle, un soir, nous avions imaginé la
présence de Charles Bukowski à l’enterrement du Pape, tous deux décédés
à peu près au même moment. Et dans cette hypothèse, disons,
burlesque nous avons créé le "ou pas". Une blague
d’étudiant que petit à petit j’ai repris car, en fait, cette
expression ouvre considérablement un espace et donc ouvre le débat.
Elle signifie aussi "je ne suis sûr de rien" ce qui
permet l’humilité.
3
- L’utopie, une raison de vivre pour certains, un mirage pour
d’autres. Vos carnets ont été abandonnés en cours de route et
pourtant ils offraient une vitrine encore bien différente du
traitement de l’info. A l’heure du “tout environnement”, vous
deviez aborder le phénomène vert de Curitiba, vous qui connaissez
bien l’Amérique Latine, quelques lignes de votre part seraient les
bienvenues ?
Curitiba
est un exemple extraordinaire, une ville verte, une responsabilité
écologique et ça marche. Le maire est réélu automatiquement, ils
gagnent de l’argent et font des économies. Vous savez au XXI°
siècle, l’utopie n’est plus une idéologie, les utopistes sont
devenus des gestionnaires, ils sont pragmatiques. Ce que je voulais
montrer face à l’échec sanglant de cette société, c’était
des jeunes gens qui étaient capables de créer des utopies
économiques et humaines qui fonctionnent et sont rentables. Ne pas
faire de l’idéologie pour de l’idéologie mais pour ouvrir une
nouvelle voie.
En
Amérique Latine, plus d’une vingtaine de villes offre le transport
gratuit mais dans un souci de gestion, et ça fonctionne ! Avec
ces Carnets d’Utopie, j’avais une nouvelle fois envie d’essayer
de donner une alternative aux mauvaises nouvelles.
4
- Comme aurait dit le personnage de Zurga dans les Pêcheurs de
perles “Oublions le passé” et quels sont les projets pour
l’orfèvre Mompontesquien ?
Tout
simplement continuer avec le magazine 13H15 qui est une émission
formidable et une équipe qui l’est tout autant.
5 - Parmi les nombreuses citations de Thomas More (1478 – 1535), une
apparaît être d’une étrange modernité : “la principale cause
de la misère publique, c’est le nombre excessif de nobles,
frelons, oisifs, qui se nourrissent de la sueur et du travail
d’autrui, et qui, fait cultiver leurs terres en rasant leurs
fermiers jusqu’au vif, pour augmenter leurs revenus, ils ne
connaissent pas d’autres économies”. Qu’en pensez-vous ?
C’est
une réalité éternelle. D’ailleurs, c’est exactement la
philosophie de Occupy Wall Street. Je ne partage pas toujours
exactement leurs opinions, mais c’est une théorie de plus en plus
d’actualité.
6
- L’impertinence a t-elle encore une place dans une petite lucarne
qui semble trop souvent suivre le concept d’un pas en avant, deux
pas en arrière ?
L’impertinence
est plus nécessaire que jamais mais à la seule condition d’offrir
de la réelle réflexion. Si l’impertinence est comme dans
certaines émissions en access qui s’attaquent au spectacle
anecdotique de la politique (il est petit, il est gros, il est tombé
par terre...), aucun intérêt. Se moquer du théâtre politique ce
n’est pas de l’impertinence. Mieux vaut parier sur l’intelligence
du téléspectateur et non sur sa bêtise.
Aujourd’hui,
la nouvelle génération est techniquement hyper douée mais hélas
la plus obéissante, ce qui est forcément inquiétant sur le plan
démocratique. On a expliqué à cette génération que l’originalité
était le meilleur moyen pour ne pas faire carrière... Résultat,
ils sont formidables mais tous pareils...
7
- Avez-vous quelques remèdes pour lutter contre l’info marketing ?
Et nous pauvres moutons rabelaisiens, que pouvons-nous faire pour
catalyser ?
Ralentir.
Un bon journalisme n’a qu’à faire de la vitesse. Il faut exiger
des professionnels de l’info de l’analyse et de la compréhension.
C’est un des premiers pas pour lutter contre le "fast news"
qui est une aberration. Si les MacDo ne sont pas devenus la référence
culinaire, hélas, les chaînes d’info le sont désormais en Europe
et c’est dramatique. Les télévisions n’iront jamais plus vite
qu’Internet, une bataille qu’elles ont engagé et qu’elles vont
perdre forcément. Si la télévision ne mise pas sur la compétence,
l’expertise et le temps, elle va mourir et ne restera que pour le
sport.
8
- Vos détracteurs vous accusent, parfois, d’être trop politiquement
orienté, ce à quoi vous répondez ?
Un
journaliste digne de ce nom est toujours dans l’opposition. Un
journaliste doit écrire ce que vous ne voulez pas qu’il écrive.
Si vous faites un travail qui ne dérange absolument personne, vous
ne faites pas du journalisme, ce que disait George Orwell d’ailleurs.
9
- Petit questionnaire rapide et impersonnel pour... mieux vous
connaître...
-
un roman : La recherche du temps perdu
-
un personnage : Bartleby d’une nouvelle d’Herman Melville
-
un/e écrivain/e : Montaigne
-
une musique : Cecil Taylor
-
un film : Le dernier que j’ai vu : L’enlèvement de
Michel Houellebecq
-
une peinture : Les Ménines
-
un animal : le taureau
-
une devise/citation : "Il faut vivre avec cette
désinvolture panique, ne rien prendre au sérieux, tout au
tragique" Roger Nimier
Merci
infiniment Michel Mompontet pour avoir pris le temps de répondre à
mes questions, et, j’espère à très bientôt.
https://twitter.com/mompontet