dimanche 10 mars 2024

 

Noisette historique


La Nuit des ombres 

(Les marais de Bourges)

Édouard Brasey

 


Zoé et Jacques s’aiment. Ils n’ont pas encore vingt ans et l’avenir est devant eux. Sauf que la percée de Sedan est proche : nous sommes en mai 40. Un mois environ plus tard, le Bourges de Jacques est en zone occupée, le Saint-Florent-sur-Cher de Zoé est en zone libre, la ligne de démarcation traversant le Cher jusqu’au 11 novembre 1942. Zoé hait aussitôt l’ennemi, Jacques est plus modéré. Les deux vont travailler pour l’Allemagne nazie : Zoé pour une usine d’armement, Jacques à la Kommandantur où il est chargé de trier le courrier. Très rapidement Zoé devient Cosette. Jacques hésite à s’engager dans la résistance. Au milieu du chaos, un homme continue de croquer les trains et les monuments de la ville malgré le dénuement le plus total : pauvre mais libre il restera. C’est un artiste, il s’appelle Marcel Bascoulard.

Autant le dire tout de suite, ce roman est monumental, à l’image de la superbe couverture représentant la cathédrale de Bourges dessinée par… Marcel Bascoulard, un double hommage lui est donc rendu dans ce livre.

Les deux qualités principales de ce roman sont d’avoir su habilement incorporer des personnages de fiction avec des personnes ayant existé – certaines avec un nom modifié, d’autres non – comme le bienveillant franciscain Alfred Stanke, employé de la Wehrmacht et l’odieux monstre Pierre-Mary Paoli au service de la sécurité SS, et, de raconter avec une exactitude confondante la réalité sous l’occupation. En lisant ce roman, j’avais l’impression d’entendre la voix de ma mère me racontant ce qu’elle avait vécu : la ligne de démarcation, les collabos, les résistants, les tickets et le rationnement, les habits et les semelles de bois, les cartes pré-écrites, les fouilles, les profiteurs, les rumeurs de déportation, la haine du juif et cette milice française parfois encore pire que l’ennemi (et encore, elle avait fait l’exode et connu les bombardements de 44).

Vous l’aurez compris, un roman très fort et qui mérite une critique bien plus fournie que « lecture agréable » ou « qui se lit facilement’. Car c’est tout un pan de la société française pendant la seconde guerre mondiale qui est décrit, avec ses âmes vaillantes et ses âmes morbides. De cette histoire française découle une histoire locale au cœur même de la France avec ses héros et ses traitres. La narration de l’exécrable Paoli est telle qu’elle donne envie d’aller cracher sur sa tombe (si tombe il y a) et, à côté, l'engagement total de la résistance où chacun était conscient du danger et des possibles trahisons. La guerre, les conflits faisant surgir le pire comme le meilleur de ce que renferme l'humain. 

Pour éclairer un peu cette noirceur, Édouard Brasey apporte de la poésie pour décrire Bourges et ses environs, nomme chaque chapitre par un air populaire de l’époque, et, termine sur une note – plutôt des vocables – qui  provoque l’esquisse d’un sourire sur les lèvres. Sans oublier, la référence au plus illustre des Berruyers : Jacques Cœur, père du « À cœur vaillant, rien d’impossible ».

Les hasards ne sont parfois que des futurs rendez-vous car joli clin d’œil indirect pour Bourges 2028 : « Lassé de la superficialité des salons littéraires parisiens, ne tenant pas pour autant à s’enterrer dans une lointaine province, il avait estimé que Bourges était un excellent compromis. Une ville à taille humaine, assez proche de la capitale, avec suffisamment d’animations pour y mener une vie sociale agréable ».

La Nuit des ombres – Les marais de Bourges – Édouard Brasey – Éditions La Bouinotte – Février 2024

vendredi 1 mars 2024

 

Noisette aventureuse 

D’or et de jungle

Jean-Christophe Rufin

 

Jean-Christophe Rufin descendant le célèbre escalier du premier siège des Éditions Calmann-Lévy
le 6 février 2024

L’or s’avère plutôt noir et la jungle n’est pas uniquement peuplée d’êtres simiesques ; leurs descendants « Homo erectus » se chargeant d’ériger des compétitions machiavéliques depuis qu’ils sont devenus soi-disant « sapiens ».

La distribution de cette aventure livresque est emmenée par deux personnages principaux : Flora et Ronald. Flora garde en elle une admiration sans faille pour son grand-père mercenaire. Elle suit ses traces, peu importe le danger et les échecs. Sauf que son destin aurait été tout autre si elle n’avait croisé au large des Galàpagos un requin baleine… Sa nouvelle mission sera de participer à un coup d’état nouvelle génération pour offrir un beau produit clef en main au patron d’une entreprise numérique en Californie. Le concepteur 2.0 est un certain Ronald qui a pour devise : tous les coups sont permis.

Pour décor, le sultanat de Brunei : petit par la taille, immense par la richesse avec tranquillité politique garantie malgré quelques soubresauts de temps à autre, mais, sans conséquence aucune. Le pays idéal selon les analyses du professeur de géopolitique Delachaux qui a pris l’occasion aux cheveux lorsque Ronald lui a proposé une collaboration.

Faisant référence à Malaparte, Jean-Christophe Rufin offre un roman d’anticipation où un coup d’état ne vient plus d’une force armée mais d’un pouvoir technologique ; bienvenue à l’ère 2.0 des Gafam ! Et le lecteur y croit. Tout est minuté, calculé : un talent d’horloger au service des belles lettres, un Dumas du XXI° siècle qui vous emporte dans une aventure avec moult rebondissements tout en décortiquant la géopolitique et les comportements humains. Captivant mais effrayant aussi.

« L’aéroport de Singapour ressemble à ce que pourrait devenir l’humanité, si une catastrophe la contraignait à se réfugier dans un colossal abri souterrain. Tous les types physiques s’y croisent, perdus dans d’immenses couloirs éclairés au néon (…) Des centaines de boutiques hors taxes vendent plus cher qu’ailleurs des produits inutiles. Les différents secteurs de la fourmilière sont reliés par des trains intérieurs. Avec un flegme qui frise le désespoir, des employés chinois renseignent les égarés, sans leur offrir d’autres perspectives que de marcher encore et encore dans des décors toujours semblables ».

L’Académicien est un écrivain double, il se fond dans la palette d’un peintre, il se glisse dans la partition d’un musicien : descriptions colorées, précises qui vous transportent dans d’autres lieux inconnus devenant presque familiers, et , un tempo qui va crescendo en utilisant un rythme sémantique qui va se terminer en un final explosif ! Tant, qu’il pourrait passer devant vous un éléphant en train de danser le fox-trot sur le Thriller de Mikael Jackson que vous vous en ficheriez comme de votre première corde à sauter !

Malgré le sujet grave, la légèreté est de mise et c’est ce petit plus qui caractérise l’œuvre de Jean-Christophe Rufin en général et de ce roman en particulier. Que de panache, même pour la description d’un bipède : « Ronald avait vécu son enfance parmi les animaux et c’étaient eux qui lui servaient de référence pour juger les humains. Il avait toujours associé Marwin à une espèce d’écureuil, avec son petit visage pincé, son nez perpétuellement frémissant, ses incisives écartées et une grosse touffe de poils d’un brun roux rabattue sur le front ».

D’or et de jungle – Jean-Christophe Rufin – Éditions Calmann-Lévy – Février 2024

 

 

mercredi 28 février 2024

 

Noisette montagnarde

Hors saison

Basile Mulciba

 


 

Il n’y a plus de saison ! Très kitsch comme introduction, je l’avoue. Mais le dérèglement climatique fait que les hivers sont nettement moins rudes ces dernières décennies et que l’enneigement est problématique pour les stations de sport d’hiver – même si le désastre est d’abord d’ordre environnemental.

Hans, qui dirige un vieil hôtel familial, en fait le triste constat. Les clients se font de plus en plus rares et son entreprise est à la peine. Néanmoins, il décide d’embaucher quelques saisonniers dont Yann, un jeune étudiant en médecine passablement désœuvré et qui espère trouver quelque chose en partant sur les hauteurs.

L’absence de réelles occupations lui permet de partir randonner, d’humer un autre environnement, de se dévêtir du poids des inquiétudes et de partager quelques moments festifs avec ses collègues. Aussi taiseux que Hans, les deux hommes vont s’apprendre à se connaître et lorsque les employés vont devoir quitter l’établissement, faute de réservations, Yann décide de rester.

Un roman d’apprentissage aux notes poétiques où Basile Mulciba joue avec les métaphores et une lenteur délicieusement reposante. Mais la première qualité de cette histoire est sans doute la simplicité qui l’environne. La vie dans cet hôtel est assez rudimentaire mais une force indescriptible fait qu’une certaine délivrance du monde suffocant se libère : cette force est la nature pour qui sait la regarder, se fondre en elle. Les mêmes conditions de vie dans une ambiance de béton provoquent le désarroi.

Enneigement vôtre, 

Hors saison – Basile Mulciba – Éditions Gallimard – Août 2023

vendredi 23 février 2024

 

Noisette corse

Sève

Olivier Gallien

 


Ghjulia n’aime pas la Corse, seul le macadam parisien et son travail chez un éditeur trouvent grâce à ses yeux. Mauvais souvenirs de cette Corse après le divorce de ses parents, puis plus récemment, le suicide de son frère Antoine près du puits de la demeure familiale des Mondoloni. Ghjulia est la dernière héritière de cette lignée. Pourtant, elle y retourne malgré les appréhensions, elle sait qu’elle sera bien accueillie par son cousin Jean, un être foutraque au bon cœur. En arrivant elle fait connaissance de Julie, une jeune fille, espiègle et rigolote. Les deux femmes s’entendent très rapidement malgré leur différence d’âge. Julie semble en savoir beaucoup sur son cousin et sur cette ambiance lourde rodant autour de la propriété. Le danger gronde et la violence va éclater de toute part.

Un roman court et intense qu’il est difficile de lâcher en cours de route, un roman qui commence très doucement, une « drôle d’intrigue » où rien ne semble jamais jaillir quand d’un seul coup tout explose. La sève des choses cachées va ramper pour tous les personnages mis en dichotomie dans un huis clos haletant au milieu de cette garrigue corse où seules les feuilles et fleurs de caféier semblent imperturbables.... Violent et pourtant étrangement poétique.

Sève – Olivier Gallien – Éditions Robert Laffont – Janvier 2024

lundi 19 février 2024

 

Noisette cinématographique

 

Poussière blonde

Tatiana de Rosnay

 


 

À l’annonce de la démolition de l’hôtel Mapes, Pauline replonge dans ses souvenirs. Née en France, elle est partie dès l’enfance vivre dans le Nevada suite au remariage de sa mère avec un soldat américain juste après la seconde guerre mondiale.

Passionnée par les grands espaces et les mustangs elle rêve de devenir vétérinaire ; elle est déjà très engagée auprès des chevaux sauvages avec son amie Billie-Pearl. Hélas, elle se retrouve très jeune fille-mère et n’a pas d’autre choix que de travailler pour subvenir à ses besoins. Engagée comme femme de chambre au prestigieux Mapes Hôtel dans la ville de Reno, elle est trop souvent cantonnée au nettoyage des toilettes jusqu’au jour où elle remplace au pied levé une collègue pour s’occuper de la suite 614. Alors qu’elle pense que tout est vide, surgit une femme nue et hagarde : Marylin Monroe ! L’actrice est en tournage pour Les Désaxés et au bord de la rupture avec le réalisateur du film, son mari Arthur Miller. Progressivement, les deux femmes sympathisent.

Quel roman ! Quel régal livresque ! Une rencontre entre deux femmes que tout oppose, en apparence, et qui fait partie de ces hasards qui ne sont que des rendez-vous avec le destin. Pauline, dotée d’une force qu’elle ignore va gagner la confiance de l’actrice en sachant écarter tout orgueil et en veillant à garder une discrétion absolue alors que les rumeurs et ragots ne cessent de circuler à chaque étage de l’hôtel. De son côté, la star va trouver un apaisement avec cette jeune femme discrète et n’hésitera pas à lui apporter son aide et de précieux conseils : dans la vie il faut savoir s’imposer et ne pas hésiter à tenir tête, voire à sortir ses griffes en douceur.

Le portrait de Marylin Monroe est touchant au possible, apparaît la fragilité de cette femme, entraînée dans un tourbillon de paillettes, qui s’égare par l’alcool et l’abus des anxiolytiques mais qui conserve un vrai cœur contrairement à certains vautours…

En parallèle, Tatiana de Rosnay nous emporte par magie dans le désert du Nevada au milieu des hordes de chevaux et des vaillantes personnes s’occupant du sort des mustangs pour ces animaux, synonymes de liberté, puissent continuer à galoper dans cette immensité. Noisette sur la chevauchée, la délicieuse métaphore avec Commander… Je ne vous en dis pas plus !

Poussière blonde – Tatiana de Rosnay – Éditions Albin Michel – Février 2024

 

 

vendredi 16 février 2024

 

Noisette psycho-thrillesque

Entendre nos fantômes

Sacha Perrine

 


Uzès, 1986 : un château, une psychiatre, un capitaine de police, deux femmes qui se détestent, une famille de résistants, des adorateurs de Pétain, des cochons, des rats… Le premier à passer sous la vengeance du Meurtrier Invisible est le boulanger dont il ne reste qu’un doigt sur la scène du crime… de quoi mettre les enquêteurs dans le pétrin ! Un deuxième assassinat va suivre, puis un troisième. Dans cette confusion totale, la presse se déchaîne au fur et à mesure que l’enquête piétine.

Le capitaine Dick Burgaud, revenu juste au pays après dix ans d’absence ne pouvait rêver meilleur accueil ! Au départ opposé à ce que son amie d’enfance, le Dr Vick Vickensen se mêle aux investigations, il consent à la « consulter » pour tenter d’expliquer les motifs sanguinaires du tueur. Surtout que la première victime était un patient assidu du médecin et que les rêves de la psychiatre ont quelque chose d’étrange. Elle seule est susceptible de délier les fils que tissent cet ogre mystérieux. Et si des fantômes avaient quelque chose à dire ? Et si les ombres du passé ressurgissaient ? À force d’avoir caché de terribles secrets, l’orage éclate au cœur de l’été.

Sacha Perrine signe un premier polar absolument époustouflant, laissant le lecteur essoufflé après avoir parcouru 378 pages sans marquer un arrêt. Un livre qui peut déranger et c’est tant mieux car il permet de révéler les mécaniques psychiques d’un tueur en série, d’éviter de galvauder le terme « fou » - bien placer dans un coin de sa tête qu’un fou met en danger avant tout lui-même – d’essayer de comprendre l’incompréhensible et que l’inconscient est un révélateur de gestes a priori inexplicables. Fouiller, chercher sans pour autant donner l’absolution (c’est là que votre serviteur pourrait avoir une sérieuse discussion avec le Dr Vick).

L’auteur, psychanalyste de son état, puise ses références dans la pensée de Freud et parfois dans celle de Lacan, en brouillant les pistes avec moult faits qui s’enchainent et permettent de découvrir progressivement l’histoire du village. Le dénouement est surprenant, très bien ficelé même si votre serviteur avait découvert le pot à noisettes aux deux tiers du roman.

« Yvette n’était pas psychiatre, mais elle avait appris une chose dans la vie : mieux valait parfois blesser quelqu’un qu’on aime plutôt que de répondre à ses interrogations. Et il y avait une règle universelle en la matière : plus la blessure était violente, moins l’être aimé continuait à poser des questions ».

« La vérité, c’est qu’elle aimait se trouver au cœur des drames. C’était le bonheur qui la terrifiait ».

Entendre nos fantômes – Sacha Perrine – Éditions Robert Laffont – Février 2024

mardi 13 février 2024

 

Une noisette, un livre

La maîtresse italienne

Jean-Marie Rouart

 


« On commet moins d’erreurs en ne décidant rien »

 

Suite à son abdication en avril 1814, Napoléon reçoit – par le traité de Fontainebleau – la souveraineté de l’île d’Elbe, entre Corse et côtes toscanes. Il y débarque le mois suivant avec une population qui l’acclame et une petite cour dont fera partie sa mère et sa sœur Pauline. Marie-Louise n’y viendra jamais. Napoléon prend ses quartiers sous la surveillance du jeune colonel Neil Campbell pour empêcher toute évasion…

Pendant ce temps-là, Louis XVIII aménage aux Tuileries, et, en septembre c’est le début du célèbre congrès de Vienne entre gens de soi-disant bonne compagnie. Là, entre autres, le prince de Bénévent rumine comme à son habitude entre deux œillades à sa nièce Dorothée…

Espionnage de part et d’autre, intrigues, chacun ourdit un complot dans le secret des dieux et entre les bras de diverses femmes dont la comtesse Miniaci résidant en Toscane. Elle fait perdre la tête au jeune Campbell pendant que Napoléon agite ses pions pour son retour à Paris.

La suite tout le monde la connaît. Mais pas forcément racontée façon Jean-Marie Rouart qui prend un délicieux plaisir à peindre chaque personnage avec une verve explosive et moult sous-entendus.

« La carrière de ce Jaucourt est des plus plaisantes, c’est lui aussi un virtuose de l’équilibrisme politique, un maestro du retournement de veste : il est passé successivement, apparemment, sans états d’âme, de la protection de la famille de Condé à la Révolution, du Tribunat et des faveurs de l’Empereur, qui l’a fait comte, à un ralliement immédiat à Louis XVIII ; accessoirement, pour complaire à son nouveau maître, il a poussé le zèle jusqu’à faire mettre sous séquestre les biens de la famille impériale. Bien sûr, il se ralliera à la monarchie de Juillet : sénateur, il votera pour Louis Napoléon, et applaudira au coup d’État du 2 décembre. C’est ce qu’on appelle un homme de conviction qui a de la suite dans les idées ».

La maîtresse italienne – Jean-Marie Rouart – Éditions Gallimard – Janvier 2023

lundi 12 février 2024

 

Noisette de réconciliation

De ruines et de gloire

Akli Tadjer

 


Certaines sagas s’essoufflent : l’intérêt décroît, l’émotion perd de sa superbe. Avec ce troisième opus sur le destin d’Adam, Akli Tadjer termine superbement cette histoire commencée en 2021 avec D’amour et de Guerre. Souvenez-vous de ce garçon qui part dans les montagnes algériennes avec sa bien-aimée pour fuir la deuxième guerre mondiale, il a trop en mémoire l’image de son père revenu cassé des tranchées et sans reconnaissance aucune de la France. Puis, vint le deuxième tome : D’audace et de liberté. Adam s’est émancipé, est resté en France après avoir survécu à la guerre mais a soif de liberté. Il rêve de retourner en Algérie avec la personne la plus chère en son cœur : Adam, son fils né de sa liaison secrète avec Zina. Si Zina a disparu, il a été nommé pour s’occuper officiellement du fruit de ses amours inoubliables.

Les années ont passé, nous sommes en mars 1962, à Alger. Les accords d’Évian sont imminents mais le pays est déchiré entre l’OAS et le FLN avec des attentats quotidiens. Les colons veulent garder leur identité française en Algérie pendant que la métropole s’éloigne de son nationalisme et que le peuple algérien veut retrouver son identité et sa liberté. Adam fils est un jeune et brillant avocat vivant avec son père adoré et qui souhaite se mettre au service de l’Algérie libre. Eux deux espèrent tant avec cette indépendance qui se profile. Un dilemme va le mettre dans une position délicate : le cabinet où il travaille lui confie la défense de l’ennemie : une jeune activiste en faveur de l’Algérie française.

Le pilier central du roman est là : le cas de conscience du fils Adam à l’aube de l’indépendance algérienne. Un pays fracturé par des décennies de colonialisme autoritaire ; deux peuples qui se déchirent entre haine et mépris. Pourtant, le jeune Adam – comme son père – refuse la loi du Talion, son seul désir est de retrouver une Algérie apaisée en faisant rejaillir toutes les sources de sa culture.

Akli Tadjer pétrit encore et toujours son stylo dans un bain d’humanisme avec cet esprit de réconciliation entre les deux rives de la Méditerranée. Si les êtres odieux ne manquent pas, le romancier s’attarde sur ceux qu’il veut mettre en lumière : personnages attachants, parfois ambigus mais toujours solaires. Certains passages sont d’une intensité si forte qu’il est parfois difficile de retenir ses larmes ; la base est une fiction mais avec une réalité en transparence.

En ce XXI° siècle, d’autres peuples se déchirent, d’autres guerres ravagent des vies et des rancœurs sont toujours omniprésentes de chaque côté de la Méditerranée. Puissent les romans d’Akli Tadjer traverser les terres, les mers, franchir les montagnes de l’intolérance pour qu’une humanité se retrouve un jour en paix dans le respect de l’autre, des autres.

Plus qu'un roman, une tribune pour une fresque de la paix. Merci Akli Tadjer, merci.

De ruines et de gloire – Akli Tadjer – Éditions Les Escales – Février 2024

 

 

jeudi 8 février 2024

 

Noisette espionne

L’affaire Martin Kowal

Éric Decouty



« En politique, il faut toujours avoir un ennemi que l’on peut charger de tous les maux »

 

11 mai 1976 : assassinat en pleine rue et à la vue de tous de Joaquin Zenteno Anaya, ambassadeur de Bolivie en France depuis octobre 1973. L’affaire n’est jamais réellement élucidée même si l’attentat est revendiqué par un groupe terroriste d’extrême gauche.

Le journaliste Éric Decouty revient sur ce mystère de la V° République sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing où rien n’est limpide quand il s’agit d’affaire d’État et entre états. En créant le personnage – et quelques autres – d’un jeune inspecteur des Renseignements généraux, le lecteur va suivre une enquête particulièrement sombre et qui laisse, évidemment, une sensation de malaise avec l’envie de s’éloigner encore un peu plus de l’univers du militantisme politique face aux mensonges et procédés machiavéliques.

Martin Kowal, bien que jeune, semble un homme sans illusion aucune. Élevé par son père lui aussi flic et passablement d’idéologie d’extrême-droite, il ne ressentira que de la haine lorsque son géniteur disparait sans laisser de traces pour, paraît-il, trahison. Il est mis sur l’affaire et, plus curieux encore, va être en liaison avec la DST. Il retrouve des « connaissances » de son père ce qui amplifie soit la suspicion, soit la confiance. Plutôt candide et l’esprit parfois embrumé par la consommation de produits illicites, le jeune Kowal finit pas douter et se demander si lui aussi n’est pas victime d’une manipulation diabolique.

Un roman absolument captivant, sans temps mort faisant glisser l'atmosphère dans l’une de ses énigmes classées dans les profondeurs de l’Élysée et des services secrets. Retour également sur une période où les dictatures d’Amérique latine faisaient florès avec la bénédiction de puissances étrangères dont la France, et, la mouvance de l’OAS parfois recasée pour des motifs peu avouables.

Une bibliographie très pointue est ajoutée permettant de constater que l’auteur a recherché moult documents pour raconter cette histoire pas très éloignée d’une opération du nom d’un rapace…

 

L’affaire Martin Kowal – Éric Decouty – Éditions Calmann-Lévy – Octobre 2023

mardi 30 janvier 2024

 

Noisette vengeresse

Le ciel en sa fureur

Adeline Fleury

 


 

Lorsqu’il commence à pleuvoir des crapauds sur une petite commune normande, les habitants du lotissement commencent à prendre peur malgré le flegme des gendarmes. La suite des évènements sera beaucoup plus inquiétante et remettra en lumière la disparition brutale, plusieurs années auparavant - d’un enfant-fée d’une ferme voisine.

Deux « étrangères » vont mener l’enquête pour savoir ce qui se passe dans cette série morbide et meurtrière. Toutes deux viennent de la ville : Julia est vétérinaire et tente progressivement de se faire accepter, surtout que les jumeaux blonds du centre équestre ne lui sont pas indifférents, et Stéphane arrive de Paris pour oublier son lourd passé. Elle est maréchal-ferrante et en pince pour Julia. Chacune habite dans des lieux où des fantômes pourraient ressurgir… Au milieu, les fermes, le lotissement – deux mondes que tout sépare – et un autre enfant -fée qui sème la frayeur parce que différent.

Ne pas en dire trop, au lecteur de découvrir ce roman à mi-chemin entre le conte et le thriller. Mais, ce qui est certain c’est que cette lecture ne peut laisser indifférent et met en parallèle une fiction et les dérives d’une société qui juge sans savoir, tend vers la loi du Talion, suit un courant puis tourne casaque… Sujets déjà rencontrés à maintes reprises tout comme la ruralité qui s’étiole, la multiplication des lotissements dortoirs et les lourds secrets de famille. Se taire sur le moment peut provoquer de futures innocentes victimes… Tout l’art est de pouvoir créer encore la surprise, susciter l’intérêt avec des propos pertinents et une écriture adaptée aux personnages. Ce qu’a parfaitement accompli Adeline Fleury. Addictif.  

« Ceux du lotissement savent que la fillette du pavillon numéro 13 est une sale gamine qui terrorise la plupart de leurs gosses, mais personne ne la punit car, après tout, elle occupe leurs enfants et les sort de l’ennui ambiant qui plane sur ceux du lotissement ».

« La ville est si lointaine, la grande Stéphane se sent de plus en plus terrienne. C’est ici sa place. Malgré la rudesse des paysans, malgré les regards méfiants. Cette maison pleine de poussière et d’araignées lui va bien finalement, elle exerce une fascination sur elle qu’elle n’arrive pas à expliquer ».

Le ciel en sa fureur – Adeline Fleury – Éditions de l’Observatoire – Janvier 2024

vendredi 26 janvier 2024

 

Noisette biographique

Les vies rêvées de la baronne d’Oettingen

Thomas Snégaroff


 

« Qui, un jour, se souviendra de moi ? »

 

Paul Éluard aurait écrit qu’il n’y a pas de hasard mais que des rendez-vous. Assurément, cachés dans un bureau, papiers, manuscrit anonyme et trois portraits de Dmitri Snégaroff peints par une certaine Françoise Angiboult attendaient tranquillement qu’une main les découvre un jour. Cette main est celle de l’arrière-petit-fils de l’imprimeur russe : Thomas Snégaroff. Quant à la mystérieuse Françoise Angiboult, elle était tout simplement la « baronne » d’Oettigen qui s’inventait moult vies pour fuir la réalité. Mais qui étiez-vous Hélène d’Oettingen ?

Thomas Snégaroff peint un tableau livresque tout en nuances et en couleurs malgré les nombreuses teintes grises – et carrément noires à partir des années 30 – qui ont jalonné la vie de cette inclassable. Née en Ukraine sous le nom de Miontchinska, la date réelle de naissance et le nom de son géniteur resteront un mystère. Elle se plaisait à dire que son père était François-Joseph… quand on s’invente une vie, autant que ce soit grandiose ! Après une brève union avec le baron et officier du star Otto von Oettingen elle part en France : l’oiseau éprit de liberté ne pouvait se retrouver sous le joug d’un époux. L’argent continue de couler à flots, la belle s’entoure d’amants et de luxe, profitent de soirées interminables entre artistes et rêve, rêve, rêve. Seule échappatoire à ses soubresauts psychiques, à son spleen, à ce désir d’amour tout en quittant ses amants de peur qu’ils s’attachent trop à elle et en souffrent. Du talent, elle en avait à revendre, trop peut-être pour être admise.

Le journaliste retrace ce parcours avec brio et fantaisies entre les frasques d’un Modigliani, la verve d’un Apollinaire et du moderne Survage, entre autres. Toute une époque ! Quant à cette femme, que de paragraphes lumineux pour lui redonner vie, la faire ressurgir de l’oubli. Une réussite.

« Je suis féministe et je ne reconnais pas l’autorité d’un homme ! Hélène, qui ne supporte pas cette distinction factice entre les hommes et les femmes, va encore plus loin : elle n’apprécie pas non plus l’autorité d’une femme sur un homme. »

« Autant Hélène jette les hommes qu’elle a aimés et qu’elle aime encore dans les bras d’autres femmes, autant elle ne veut pas les prendre à d’autres bras ».

Les vies rêvées de la baronne d’Oettingen – Thomas Snégaroff – Éditions Albin Michel – Novembre 2023

  Noisette historique La Nuit des ombres  (Les marais de Bourges) Édouard Brasey   Zoé et Jacques s’aiment. Ils n’ont pas encore v...